Calvinet et Eustache de Beaumarchais

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Extrait de la notice historique sur le canton de Montsalvy, rédigée par Gabriel ESQUER (1876-1961), archiviste du département du Cantal entre 1903 et 1909, publiée dans les éditions successives de l’annuaire de l’Association amicale des originaires du canton de Montsalvy.

Le présent extrait est tiré de l’édition de cet annuaire du mois d’octobre 1936.

De même que Montsalvy était le chef lieu ecclésiastique du pays, de même Calvinet en était la capitale judiciaire. Cette petite ville était le siège d’un bailliage  dont le personnel était composé d’un juge ordinaire et d’appeaux, d’un lieutenant général civil et criminel, d’un commissaire examinateur et d’un substitut du procureur du roi.

L’histoire de Calvinet est liée au XIIIème siècle à celle d’un homme qui a joué un rôle historique des plus importants, Eustache de Beaumarchais.

Celui-ci était né dans la région orléanaise. C’était un de ces seigneurs de petite noblesse parmi lesquels la royauté administrative des premiers Capétiens choisit souvent des représentants en province, baillis et sénéchaux.

Eustache de Beaumarchais arriva vers 1265 en Auvergne, où il devait exercer plus tard les fonctions de bailli des montagnes d’Auvergne. Ce terme désignait le haut pays d’auvergne et comprenait les trois archiprêtés et prévôtés d’Aurillac, Saint-Flour et Mauriac.

Le pays était alors en proie à la guerre civile. Les domaines d’Alphonse de Poitiers, frère de louis IX, représentant l’autorité royale, venaient d’être envahis au cours d’une guerre entre les puissants seigneurs féodaux du pays, Guillaume V Comtour, seigneur d’Apchon, et le vicomte de Murat. Alphonse de Poitiers envoya aussitôt des troupes au secours de ses officiers, ainsi que des commissaires pour informer. Parmi ceux-ci était Eustache de Beaumarchais, sénéchal de Toulouse.

C’est durant ce voyage en Haute Auvergne qu’il fit la connaissance d’une des riches héritières du pays, Marine, qui habitait alors Aurillac.

Elle était fille de Déodat de Vigouroux, chevalier seigneur de Calvinet, et de Philippie de Salers, qui vivaient encore en 1255.

Du chef de son père, elle était dame de Calvinet, Roussy et Caylus dans le canton de Montsalvy, arrondissement d’Aurillac, à l’extrémité sud du Carladez ; probablement aussi, mais sous la suzeraineté du vicomte de Murat, de la seigneurie de Chambeuil, dans la vallée d’Allagnon (canton de Murat) dont les pâtures alpestres du Lioran dépendaient en grande partie. Elle s’étendait même du coté du Plon.

Par sa mère, Philippie de Salers, morte également, elle avait hérité d’une part dans les fiefs, déjà très morcelés, de Salers et de Tournemire, beaux domaines seigneuriaux, desquels relevaient des montages à vacheries plus plantureuses encore que celles du Lioran. Un des tours du château de Salers portait le nom de Tour de Calvinet. Son oncle, le chef de sa famille maternelle, était cet Helme de Salers qui avait accompagné Saint-Louis et Alphonse de Poitiers à la croisade de 1250, où il était resté prisonnier des Sarrazins pendant plusieurs années. A son retour, il trouva son beau-frère, Déodat de Vigouroux en possession du château de Salers et de tout l’héritage de la maison. On composa ; Déodat, en retint la moitié. Helme vivait encore lors du mariage de sa nièce Marine. Guy de Salers le plus jeune frère de Philippie, épousa une fille de Guy III d’Escorailles, petite nièce d’Algayette d’Escorailles, comtesse de Rodez et vicomtesse de Carlat par son mariage avec Henri 1er de Rodez, cette belle Algayette qu’ont chantée les troubadours. Salers fut une des seigneuries contestées entre Alphonse de Poitiers et l’évêque de Clermont.

C’est dire que Marine, propriétaire des montagnes couvrant une partie du canton de Salers et s’élevant d’un autre coté jusqu’au lioran et au plon du Cantal, était une dame des montagnes et une héritière très en vue. L’or qui descendait des hautes pâtures affluait dans ses coffres comme le sang des plus veilles races du Haut-Pays coulait dans ses veines. Elle avait en outre des biens à Cassaniouze, à Marcolès, dans la banlieue d’Aurillac, et de nombreuses maisons dans la ville. Je ne serais pas supris que quelque chose des ses hôtels d’Aurillac, de ses terres de Marcolès et de Cassaniouze lui vînt de son premier mari, Pons de Villa, mort en 1260 ou  1261, car celui-ci avait maisons et biens aux mêmes lieux.

Marine avait été mariée une première fois à Pons de Villa sur lequel nous savons peu de chose, mais qui devait être cependant un personnage d’importance, puisque, au mois de juin 1260, le comte de Rodez lui donnait tout ce qu’il possédait dans la paroisse de Cassaniouze. Sa veuve lui resta fidèle six ans, et dans son testament de 1280, elle voulut être inhumée au cimetière Saint Géraud d’Aurillac dans le tombeau de Pons de Villa, et ce fut son second mari qu’elle chargea de cette commission.

Le mariage de Beaumarchais et de Marine était accompli en 1266. Le Sénéchal de Toulouse devenait à la fois vassal d’Alphonse de Poitiers et du Vicomte de Carlat , et l’un des plus puissants propriétaires de la Haute-Auvergne.

Les domaines que lui apportait sa femme étaient en effet heureusement situés. Le fort château de Salers, dans une position presque inexpugnable, commandait la prévôté de Mauriac presque au point de rencontre de celles d’Aurillac et de Saint-Flour. La terre de Calvinet, mi partie en Auvergne et en Rouergue, à peu de distance du Quercy, en commandait l’une des entrées au Sud. Du côté du Nord, la seigneurie de Chambeuil, qu’Eustache l’eût achetée ou reçue en mariage, barrait le col du Lioran dans la vallée d’Allagnon, l’une des passes les plus fréquentées pour aller du centre de la France à Toulouse. Eustache acquit aussitôt, nous le verrons plus loin, en 1265 ou 1266, avant Pâques, le fief de Falcimagne,  dans la paroisse de Cheylade, aux limites des arrondissements de Murat, Aurillac et Mauriac. Adossé aux sommets les plus élevés de la région, il y trouvait des refuges presque inaccessibles. Que la faveur du prince vînt se joindre à cela et l’avenir pouvait être beau devant Beaumarchais, admirablement taillé pour réussir.

Aussitôt, la paix rétablie entre le vicomte de Murat, les Tournemire et le Comtour, Eustache s’établit à Calvinet et entreprend de remplacer le château qui s’y trouvait par une grande forteresse. Il ne l’a pas plutôt commencée que l’excès des corvées et des tailles occasionnées par ces exceptionnels travaux, fait naître des difficultés entre lui et ses nouveaux sujets. Qu’à cela ne tienne, il connaît le moyen de couper court au conflit ; il l’emploiera souvent au cours de sa longue carrière ; il leur ferme la bouche avec une charte de franchises ; c’est le monde de transaction courant. Mais il la bâtit, comme le château, tout à son avantage, et si les prud’hommes de Calvinet ont cru avoir conquis la liberté municipale, ils se sont bien trompés. Nous étudierons plus loin cette charte que Marine octroya avec lui au mois d’avril 1266.

A la suite d’événements dont le récit ne saurait trouver place ici, il y eut de la part des divers seigneurs féodaux du Carladez une révision générale de leurs fiefs. Les seigneurs de la région se divisèrent en deux groupes, les uns se reconnaissant vassaux du vicomte de Carlat, et les autres d’Alphonse de Poitiers. Parmi ces derniers fut Eustache de Beaumarchais, qui rendit hommage de sa terre de Calvinet entre 1266 et 1268. En septembre 1268, l’oncle de sa femme, Helme de Salers, chevalier, rendit hommage à Alphonse « pour le château de Salers et tout ce qu’il possède entre l’Auge et la Maronne ».

Ce bouleversement politique eut comme conséquence la guerre civile dont quelques faits permettent d’apprécier les ravages.

Les bandes enrôlées par les seigneurs du Carladez désolaient le pays et les contrées voisines. En 1267, les routiers étaient plus forts que chacun des deux partis qui s’unissaient parfois momentanément pour les combattre. C’est ainsi qu’ils cernèrent Henri de Rodez près d’Aurillac, et celui-ci courut un tel danger que les officiers royaux se virent obligés de requérir une levée des communes de Haute Auvergne et du Quercy. Les bourgeois de Figeac refusèrent de marcher hors de leur diocèse, alléguant leurs coutumes. De même, ils refusèrent de fournir leur contingent pour assiéger le château de Caylus. La monarchie ne perdit par l’occasion d’affirmer dans cette circonstance son droit et son devoir de police supérieure.

Par arrêt du 8 novembre 1267, le parlement royal condamna les bourgeois de Figeac à l’amende, à raison de leur désobéissance. Il fallut assembler l’ost royal. Louis IX envoya son bailli de Bourges, Henri de Gandonvilliers, et son sénéchal du Périgord, Raoul de Trappes, avec les troupes de leurs provinces. Un des chevaliers de son hôtel, Nicolas de Menet, seigneur de Haute-Auvergne, reçut pareille commission et se joignit à eux. Les bandits furent refoulés des plaines de la prévôté d’Aurillac, dans les gorges de la montagne où l’hiver dut empêcher de les poursuivre. Après quoi, l’ost royal regagna le centre et le sud-ouest de la France, sans avoir détruit le fléau.

Beaumarchais prit une part active à cette expédition ; la preuve en est qu’Alphonse le désigna en 1268, parmi les témoins à faire entendre dans sont intérêt au sujet de l’affaire de Sénezergues. Son abstention eût été des plus surprenantes dans un conflit où ses intérêts étaient en jeu, aussi bien que ceux de son seigneur Alphonse.

Un incident fâcheux vint donner un caractère très aigu au conflit dans le moment même où l’on paraissait sur le point de s’entendre et où les efforts de tous étaient nécessaires contre les bandits. Le pays de Bénazès (à peu près le canton de Montsalvy) était l’une des parties de son apanage à laquelle Henri de Rodez tenait le plus ; il en porta même le nom quelque temps. Ce petit pays de la vicomté de Carlat, avec la place de Montsalvy, sa capitale, confinait au comté de Rodez, dont il était l’héritier, sur un point stratégique de grande importance, à la jonction de trois provinces. Il commandait, non loin de son embouchure dans le Lot, l’entrée de la vallée de la Truyère, qui traverse le Carladez de part en part, dans le sens de sa longueur. Le maître du Bénazès était un danger pour ses voisins du Rouergue, de l’Auvergne et du Quercy, et le principal chevalier du vicomte, dans cette région, était Archambaud de la Roque, coseigneur de Sénezergues, voisin de Beaumarchais.

Le bailli des Montagnes, Geoffroy dit Troillart, répondit à l’aveu fait à Henri par Archambaud de la Roque, en s’emparant de son fief et en le mettant sous la main d’Alphonse. Cela fait, il assigna, vers le mois de décembre 1267, Raymond de Montsalvy, damoiseau, bailli de Bénazès, ou de Montsalvy pour Henri de Rodez, à comparaître devant lui au château de Sénezergues. Ce château et sa châtellenie étaient indivis pour une grosse part entre Archambaud, vassal du vicomte de Carlat et Eustache de Beaumarchais qui entendait ne relever que d’Alphonse. L’officier rouergat s’y rendit, mais en armes, avec une escorte, dont deux sergents armés aussi, et il assiégea l’homme du prince dans la tour. Le bailli des Montagnes fait une sortie le second jour, tue Raymond de Montsalvy, blesse un des sergents et met les assiégeants en fuite. A cette nouvelle, Henri de Rodez accourt, force le « repaire » de Sénezergues et porte plainte à l’apanagiste (janvier 1268). Cette affaire rompit les négociations. Le 16, Alphonse chargeait Guillaume Roux de faire une enquête sur la vérité des faits, d’en dresser un rapport écrit et de lui apporter à Paris le troisième ou le quatrième jour après la quinzaine de la Chandeleur. L’enquête tourna contre les officiers d’Henri. Elle constata aussi que ceux d’Alphonse avaient la possession légitime de la moitié indivise de Sénezergues, tour et fief qu’Henri s’était injustement emparé de tout. « Amendez vos torts, écrit le prince d’un ton de maître à Henri de Rodez, le 21 février 1268, de Longpont près Paris où il se trouvait, amendez vos torts et ceux de vos gens, nous sommes prêts à amender ceux des nôtres, s’ils sont établis ».

Il exigeait que, préalablement à toute action, Sénezergues fut évacué par son adversaire. Mais du côté des Rouergats, vassaux d’Aragon, on niait l’attaque à main armée et on ne voyait que  le meurtre d’un des officiers de la maison de Rodez.

C’est dans ces circonstances qu’Eustache de Beaumarchais, que sa fidélité à Alphonse de Poitiers faisait considérer comme un fonctionnaire sûr, fut nommé bailli des montagnes d’Auvergne dans le courant de l’automne 1268 ou de l’hiver 1269, avec la mission de détruire les rassemblements des bandits qui désolaient l’Auvergne. Il concentra dans ses mains tous les pouvoirs supérieurs, militaires et judiciaires de la région. Il fut un dictateur dont la mission se résuma dans ces deux mots : prendre et pendre.

***

Le nom d’Eustache de Beaumarchais ne nous est pas seulement connu comme celui d’un hardi capitaine. Son rôle comme administrateur n’est pas moins digne d’être noté. Il fut souvent chargé par Philippe le Hardi d’être le médiateur des innombrables différends qui surgissaient à cette époque soit entre les commissaires royaux et les seigneurs féodaux, soit entre ceux-ci et les villes. C’est ainsi qu’il révisa en 1283 les coutumes de Toulouse ; qu’il dota d’une charte de libertés les habitants de Valence en Albigeois, de Grenade sur Garonne et de nombreuses villes de Gascogne. Plus près de nous, il termina le différend né entre la ville et l’évêque de Rodez, en 1277, et en 1280 il attacha son nom à la Première Paix conclue entre les habitants et l’abbé d’Aurillac.

Dès le mois d’avril 1266, il avait octroyé une charte de franchises à ses sujets de Calvinet. C’est là un fait qui mérite d’être étudié.

Calvinet était depuis longtemps un chef-lieu de fief et de justice seigneuriale lorsque le mariage d’Eustache avec Marine l’en rendit maître. S’il fallait en croire un érudit de Rouergue, un certain « Nicolas de Moncancho, notaire à Calvinet » y aurait libellé en 1144 un acte de transaction réglant les redevances dues par les paysans des hameaux de Maldamours et de la Bastide au seigneur de Roussy. Vu la date et l’absence de texte à l’appui, laissons la responsabilité de cette allégation à son auteur qui peut-être s’est trompé d’un siècle. Toujours est-il que Calvinet était peu de chose avant Beaumarchais. Son rêve, à lui qui a bâti des châteaux en Espagne, fut de le transformer en une des plus puissantes seigneuries de la région ; il en fit, du moins, la plus grande baronnie du Carladez.

Il commença par le commencement et il y construisit, nous l’avons vu, dès les premiers temps de son mariage, un véritable château-fort à plusieurs enceintes flanquées de tours, entourées de fossés et de palis. La première mention des travaux est du 3 des nones d’avril 1266.

-Eustache stipula que « tout homme du village devait lui fournir la corvée gratuite et en tous temps des transports pour la construction des tours, des murs, des fossés et des palis du château de Calvinet. Il fit même ajouter un post-scriptum à la charge en vue des édifices qu’il comptait élever à l’intérieur des enceintes : – «Outre la construction du château de Calvinet, nos hommes de Calvinet devront faire la manœuvre à nos frais, aux maisons et constructions que nous édifierons pour notre service et notre usage dans le susdit château, à raison d’un homme par chaque maison d’habitants, une fois la semaine, excepté entre la Saint-Jean et la Saint-Michel », c’est-à-dire pendant la levée des récoltes. Mais ses vassaux ayant demandé que la durée du nouvel assujettissement fût limitée, il consentit à ce qu’elle le fut à « cinq ans, et de là en avant ils n’y seront pas tenus… et nous voulons qu’après les cinq ans, ils soient exempts de toutes manœuvres sauf celles spécialement imposées par les dites coutumes » – La différence se conçoit aisément. Les vassaux avaient le droit, de par la coutume féodale, d’être reçus en temps de guerre, eux, leurs familles, leurs bestiaux et leur avoir mobilier, dans l’enceinte de la forteresse. Ils travaillaient pour eux en aidant le seigneur à la construire et à l’entretenir, tandis qu’ils ne tiraient aucun profit des maisons, dépendances et constructions de luxe ou de produit qu’il plaisait à celui-ci d’édifier à l’intérieur. Les habitants n’entendaient donc travailler gratis que pour les fortifications proprement dites.

Nous avons ainsi la date de construction du château de Calvinet. Commencé vers 1265, son maître estimait, en avril 1266, qu’il lui faudrait encore cinq ans pour le parachever avec le concours de toute la population. Il est fort probable que l’édification de cette forteresse sur les marches du Rouergue par un chevalier du caractère de Beaumarchais fut pour beaucoup dans la naissance des troubles du Carladez, car le vassal ne pouvait se fortifier sans l’assentiment du suzerain, et ce suzerain était au moins en grande partie le vicomte de Carlat. Ce château fut de ceux dont Richelieu décida la destruction ; il fut rasé en 1634.

La charte de libertés donnée à la « communauté de Calvinet » par Eustache est la concession d’un homme autoritaire, habile et fort pratique. La liberté personnelle est accordée aux habitants et aux étrangers qui viendront s’établir dans les limites de la franchise de Calvinet délimitée par les ruisseaux de Teulière et de l’Etang jusqu’à leur embouchure et le sommet du village ou puy appelé le Puech Grand. Le bailli ne pourra les arrêter, hors les cas prévus par la coutume, toutefois ils devront donner caution s’ils appellent au seigneur de la décision de son officier en cas d’infraction sur ce point. L’étranger sera reçu citoyen « mais si faire se peut et sans préjudice d’autrui ». Il ne concède aux habitants ni le droit de s’assembler ni celui de s’imposer sans son consentement. Ils auront des consuls, il n’exprime point le droit de les élire ; c’est lui qui les instituera pour une année finissant le 26 décembre. « Item nos establirem en la dita vila cossols cadam lendema de Nadal » ; c’est à lui et non aux consuls que les conseillers prêteront serment de donner de bons conseils.

En droit civil et criminel, il se garde la part du lion. Tous les biens de l’intestat « n’ayant pas d’héritier devant être héritier » lui appartiendront si après un an et un jour de dépôt entre les mains du consul il ne se présente aucun « héritier devant être héritier ». Le châtiment du larron et l’homicide est laissé à la merci du seigneur qui reste maître de toute leur fortune et de leur vie. Prises au pied de la lettre, plusieurs clauses seraient excessives : – «Si un homme est condamné, quelle que soit la condamnation, tout son bien reste pris sous notre main ; on en paiera ses dettes, et le restant, s’il y en a, sera nôtre » ; sans doute la règle ne devait s’appliquer qu’aux crimes très graves. Dans plusieurs cas de simples délits la peine est à la discrétion du juge. En cas de condamnation à l’amende pour n’importe quelle cause, si le condamné ne paie pas, le juge remplacera l’amende par telle peine qu’il trouvera convenable, sans limitation. – Dans d’autres espèces elle est spécifiée.

La ville est franche d’impôts extraordinaires sauf pour trois cas : capture et rançon du seigneur, mariage de sa fille, passage outre-mer pour pèlerinage : ce qui est modéré. Chaque maison ou grange mesurant 10 cannes en longueur et 4 sous l’arc (de voûte ?) à la mesure de Figeac, paiera six deniers.

Au point de vue de l’état de civilisation, citons la simple injure verbale punie de 3 sous d’amende, de 6 sous le simple coup de poing pendant le marché, de 60 sous s’il y a effusion de sang ne fût-ce que par le nez ; le jet dans la rue de « causas pudens et causas nosens » d’immondices ou choses nuisibles, puni à l’arbitraire du juge ; le duel considéré comme usage courant quelle que soit la classe sociale, lorsque la dette est niée et non prouvée, le « vaincu » devant payer seulement deux sous d’amende, ce qui suppose ce moyen de preuve très usité, même dans le peuple, et les combats peu meurtriers. Ainsi que presque partout ailleurs, l’adultère est « couru » comme on sait ; mais à Calvinet il a le choix de ce châtiment humiliant et ridicule ou de payer 200 sous. Les consuls auront le service de vicinalité ; ils percevront le profit de certaines amendes pour contraventions rurales qui seront appliquées à l’entretien des rues et des mauvais pas laissés à leurs droits et à leurs charges. Le bailli doit les appeler pour juger les contraventions de voirie avec lui. Il est question d’un notaire public établi par le seigneur, avec compétence sur toute sa terre.

Il y a sur la marché de Calvinet des perdrix, des lièvres, du lapin de garenne. La peau de loutre, gibier rare aujourd’hui dans nos rivières par suite de la destruction du poisson, n’est pas plus taxée à l’entrée que la peau de renard. Il y a des vignobles. Un des articles les plus curieux dans le tarif de la leyde est la vulgarisation de l’usage du verre à boire dans ce pays reculé ; « le faix de hanaps de verre » apporté par un étranger est tarifé un denier tout comme le « fait d’écuelles de grisailles » ou poterie de terre vulgaire, taux établi pour en encourager l’apport.

Parmi les huit prud’hommes souscripteurs de l’acte, citons Jean et Guillaume de la Cour et Guillaume de la Roque (1).

A part le tarif de la leyde, traité assez soigneusement –on peut s’en rapporter là-dessus à Beaumarchais- la charte se rapproche de celle de Najac. Il fit mieux plus tard si tant est qu’il n’ait pas voulu que ce code peu libéral fût ainsi. Tel quel, c’était un très grand progrès, de nature à attirer les populations voisines, à former un bourg autour du château qu’il était en train de construire. Calvinet prit un rapide essor. De village, il devint une petite ville relativement bien supérieure à ce qu’il est aujourd’hui.

  1. La particule ne précède pas leur nom, comme d’ordinaire. Ce cas est fréquent en Haute-Auvergne, au moyen-âge, même pour les familles les plus nobles et les plus puissantes.

Une fois la forteresse debout, et lui parvenu aux fonctions de sénéchal de Toulouse et d’Albigeois, Beaumarchais s’occupa, sans perdre de temps, de constituer le corps de la baronnie en l’agrandissant et en éliminant les innombrables propriétaires féodaux du territoire. Ici l’inventaire des titres de Calvinet dressé en 1434 par Robert de Chalus pour le duc Charles de Bourbon alors seigneur du lieu, nous fournit de nombreux renseignements.

En 1273 et 1274, il achète à Durand Poyol et Hugue Chantrac tout ce qu’ils ont à la Vinzelle, fief rouergat contigu à celui de Calvinet. Il traite avec les abbés de Maurs et d’Aurillac au sujet de leurs terres du canton de Montsalvy. Il acquiert les biens de Bertrand de Valon entre le château de la Vinzelle et Cassaniouze sur les confins du Rouergue. Les acquisitions suspendues pendant son gouvernement de Navarre recommencent aussitôt son retour. Ce sont des droits vexants et onéreux d’albergemont dus dans la Vinzelle, à Begon de Longueserre pour lui, cinq chevaliers et cinq pages, qu’il rachète de ce seigneur au mois de novembre 1279 ; la suzeraineté de la part indivise d’Aymeric dans le mas de Bés, paroisse de Junhac ; la part d’Aton III de La Roque, chevalier, fils d’Aton II, et de son frère Archambaud de  La Roque, damoiseau, sur le château de la Vinzelle qu’il se fait céder en 1281 ; tous ceux de Géraud d’Aldigier et de sa femme Elise sur les paroisses de Saint-Porcher (Sancto Porcheno), de Noailhac, de Flagnac et de la Vinzelle, en Rouergue et en Auvergne, qu’il ajoute encore moyennant finance (janvier 1281). – Ses acquisitions de l’année 1281, constatées par treize actes différents, sont considérables. A Astorg Lasfrata et à son neveu Guillaume, à Adémar Gaucerand, à Garnier et à Bertrand de Trémouille, à Bertrand Aldigier, à Raymond Escafred de la Vinzelle, à Hugue de Roquefort, leur part de la seigneurie de la Vinzelle ; à Simonne veuve de Pierre de Roquefort en Rouergue, au nom de leurs enfants Rigaud, Sibille et Estelle, la moitié d’une maison dans le château de la Vinzelle ; à Bernard du Mas, damoiseau, sa portion du même château ; de même à Pons de Corbie tout ce qu’il possède dans la même terre ainsi que dans les paroisses de Saint-Porcher et de Grand-Vabre ; à Rostaing de Besséjuols ses droits sur les villages d’Entraigues (Inter aquis), de Puech Guillaume et de la Roaldie, sur l’affar du Bousquet et la paroisse de Ginouillac. En 1282, il achète à Géraud Nicolas, prêtre, l’affar du Téron des Nicolas et tous ses droits dans la paroisse de Ginouillac. En 1283, le jeudi avant les Rameaux, il acquiert par échange de Guillaume de Vialaret, prieur de Saint-Yrieix, des rentes sur le mas de Beaumont, et d’autres possessions du prévôt et du monastère de Montsalvy, les 2 novembre 1284 et 12 novembre 1285. En 1286, c’est à Henri de Rodez, comte de Rodez et vicomte de Carlat, qu’il demande de lui céder contre d’autres terres les rentes de la paroisse de Ginouillac, des châtellenies de Rignac et de Belcastel en Rouergue.

A la fin de l’année 1285, il hommage à Philippe le Bel qui vient de remplacer son père sur le trône, pour ses châtellenies de Ginouillac  et de Roussy. L’hommage fut fait à Villefranche du Rouergue entre les mains des commissaires royaux, l’archevêque de Narbonne et le maréchal de Mirepoix. Ses acquisitions ne furent pas même interrompues sous son second commandement en Espagne.

La rente viagère de 400 livres à prendre sur la recette du bailliage royal d’Auvergne qu’il reçut du roi après son retour de Catalogne (1285) n’était pas de trop, car cette seconde campagne le greva beaucoup. Endetté, ses achats se ralentissent à ce moment. Il achète cependant, au mois de novembre 1286, à Hugue Molinier, précepteur des Hospitaliers de Gaillac au diocèse d’Albi et à Géraud Aldigier les biens donnés par celui-ci à l’hôpital de Gaillac dans les paroisses de la Vinzelle et de Saint-Porcher.

Si nous suivons de la sorte Eustache de Beaumarchais dans une partie de ses acquisitions, c’est que nous assistons là au travail de formation d’une baronnie. Il fallait pour cela réunir, suivant la coutume, quatre châtellenies ayant haute justice et châteaux tenables ; quelquefois trois suffisaient. Beaumarchais est le créateur de la baronnie de Calvinet, qui n’existait pas avant lui. Simple justice avec repaire sans importance et quelques sous-fiefs nobles jusque-là, elle prend, à partir de lui seulement, la qualification de baronnie dans les documents. Calvinet est même, si je ne me trompe, l’une des premières si ce n’est la première terre de Haute-Auvergne à laquelle on trouve cette qualification dans les actes. Les quatre châtellenies de la baronnie de Calvinet étaient : Calvinet, Roussy, La Vinzelle, et Ginouillac en Rouergue.

Ce travail opéré, vinrent les difficultés de personnes. Il fallut contraindre les vavasseurs nobles à reconnaître la suzeraineté du nouveau maître. Il le fit de 1289 à 1293.

En 1280, il reçoit l’hommage de Hugue de Montsalvy, fils de Hugue, pour les affars d’Alogne, de Frons, de Maynials, de Roussy ; et celui de Géraud, seigneur de la Valade pour le mas « dels Sols », l’appendiaire de la Richardie et le bois « del Vinhal ». L’année suivante (1290), il règle par compromis ses différends au sujet du fief de Roussy avec Hugue de Montsalvy, Pierre de Montsalvy, prêtre, fils de Hugue, les frères Géraud et Guy, fils de feu Guy de Montsalvy.

Il s’arrondit encore en 1292 en achetant à Hugue Vidal les affars de la Garrigue et d’autres biens au prévôt de Montsalvy.

Eustache de Beaumarchais mourut en 1294. Après sa mort, des accusations furent dirigées contre lui. On lui reprochait de nombreuses exactions qu’il aurait commises au cours de sa carrière politique et administrative. Mais il ne paraît pas que la preuve en ait été faite.

La seigneurie de Calvinet passa dans la famille de Chambly par le mariage de Marie, fille de Beaumarchais, avec Jean Hugue de Chambly, seigneur de Longperier. En 1322, cette terre fut vendue par Marie, séparée de son époux, à Pierre de La Vie dont la famille la posséda jusqu’au XVème siècle. En 1434, elle fut vendue au duc de Bourbon, par Jacques de La Vie, seigneur de Villemur. Ultérieurement possession royale, la terre de Calvinet passa, ainsi que nous l’avons dit, aux princes de Monaco.

Sur Calvinet, nous lisons dans les rôles du vingtième de 1761 :

« La paroisse de Calvinet est située en plat pays couvert de châtaigniers ou de brossiers. Elle comprend 41 feux. Le terrain, un peu léger, ne produit que du seigle, de l’avoine et du blé noir. Il y a de bons pacages et d’autres pour les moutons, appelés brossiers. Les arbres fruitiers sont en assez grande quantité, mais leur qualité n’est pas bonne, de sorte que les habitants n’en retirent pas grand profit.

Les habitants n’ont d’autre industrie que la culture de leurs biens. Les châtaignes leur sont d’un grand secours ; la qualité en est très bonne, et la quantité assez considérable. On les porte à Aurillac distant de quatre lieues. »

Dans la paroisse de Calvinet se trouvait le fief de La Mothe. Cette seigneurie était en 1332 la propriété de Bertrand de Roquefort. De cette famille elle passa, par le mariage d’Agnès de Roquefort à la fin du XIVème siècle, à la famille de Gausseraud, qui possédait la Nigelle. Elle échut plus tard, par succession, à la fin du XVIIème, à Antoinette de Pélamourgue, qui épousa en 1712, Pierre de Bonafos, seigneur de la Roussilhe, dont les descendants sont encore en possession de cette terre. Elle était alors de la commune de Mourjou, et ne fut rattachée à celle de Calvinet qu’au cours du siècle dernier.

complément publié en 2018; source du groupe « calvinet notre histoire » – Guy Ouillades